lundi 20 avril 2015

Prix des lycéens - 1er Prix

Premier Prix attribué à Léa Rostamnejad (élève de Seconde, Lycée Richelieu) pour son écrit inspiré de Libellules de Joël Egloff (Buchet Chastel, 2012).


Dans une petite pièce, un homme devant un ordinateur, les yeux vitreux et plissés, scrutait son écran. Il comptait lentement les lignes qui s'y inscrivaient. De haut en bas puis de bas en haut afin de s'assurer qu'il ne se trompait pas. Enfin, il sourit et retira ses lunettes en retombant au fond de son siège. Son objectif du jour avait été atteint : il avait écrit trente lignes. L'inspiration était au rendez-vous cette semaine, de quoi réjouir n'importe quel écrivain qui chaque jour, de chaque mois, de chaque année met corps et âmes à inventer trente-cinq malheureuses lignes. Il mâchouillait la branche de sa lunette, pensif. Ferait-il autant de lignes demain ? Peut-être même plus qui sait ? Il éteignit son ordinateur, après avoir fièrement appuyer sur << Enregistrer >>, et s'en alla trouver quelques occupations en attendant l'heure d'aller chercher son fils à l'école. Dehors, le temps était ombrageux et le ciel menaçait à tout moment de déverser une cascade d'eau -sur la tête des passants- que les nuages d'un gris sombre retenaient. Pour rien au monde il ne mettrait un pied à l'extérieur. Sauf pour aller chercher son fils évidemment. La petite balade de 16h tombait donc à l'eau. Il allait devoir rester confiné chez lui jusqu'à ce que sonne l'heure pour lui d'affronter la flotte prochaine.
D'un geste lent, il saisit la télécommande et s'affala dans le canapé.
La télé est le meilleur moyen pour faire passer le temps.
Or seuls des documentaires et des émissions de télé-réalité sans intérêt étaient diffusés à ce moment de la journée. Il avait le choix entre les informations ou alors le documentaire le plus intéressant des documentaires inintéressants : L'apparition du poulpe marin. Il opta donc pour les informations comme quiconque ayant un peu de pitié pour sa propre personne.
La politique et le système gouvernemental défaillant actuel était le principal sujet sur la première chaîne d'informations, ce qui l'ennuya très vite. La chaîne suivante au contraire traitait de l'actualité. La journaliste brune aux yeux verts parlait de catastrophes naturelles, de phénomènes sociaux ainsi que d'évènements récents. Il n'écoutait que d'une oreille et s'apprêtait à aller chercher quelque chose à se mettre sous la dent, quand il entendit son nom : 
 
<< Joël Egloff, auteur de nombreux ouvrages remarqués, a remporté la semaine dernière le Grand Prix SGDL de la nouvelle avec son recueil Libellules, annonça la journaliste. Un recueil dans lequel le narrateur nous fait part du monde qui l'entoure avec sensibilité et avec des touches comiques. Voici une interview des personnes qui sont les personnages de certaines de ces nouvelles. Reportage réalisé par Léa Rostamnejad >>. Il se rassit confortablement dans le canapé, prêt à regarder, l'air amusé.
Une petite femme rousse grassouillette apparue à l'écran. C'est la voisine d'en face ! Elle ne savait où poser son regard, probablement angoissée d'être filmée pour la télé. Ses yeux jonglaient entre la journaliste et la caméra. Elle répondait aux questions de la reporter en bafouillant légèrement :
<< Aviez-vous remarqué que monsieur Egloff, votre voisin, vous observait secouer votre linge ?
- Euh... oui un peu tout de même. Il feignait de regarder autre part mais je voyais bien qu'il me regardait moi, à chaque fois que j'étais à la fenêtre. Je trouvais ça quelque peu étrange. >> Je le savais qu'elle me prenait pour un fou... La reporter continua ses questions :
<< Qu'avez-vous pensé de la nouvelle Rien à secouer dans laquelle votre voisin parle de vous, et plus généralement qu'avez-vous pensé de l'ouvrage ?
- J'ai trouvé la nouvelle très drôle, dit-elle en souriant. Il s'imagine plein de choses à partir des actions du quotidien comme secouer son linge par exemple, et en fait tout une histoire qui fait rire. Il faut avoir du talent pour écrire de cette manière. >>
Le reportage se poursuivit avec un jeune homme d'une vingtaine d'année nommé Benoît. Derrière ses lunettes, il avait un regard vif qui lui donnait un air espiègle. J'ai l'impression d'avoir déjà vu son visage.
<< Bonjour Benoît, commença la journaliste, donc vous êtes le disparu d'une des nouvelles du recueil, c'est bien cela ?
- Il faut croire que oui, lâcha-t-il en étouffant un rire.
Mais oui ! Je le reconnais !
<< Quelle a été votre réaction lorsque vous avez compris que celui dont il parlait était vous ? 
Il s'exclama :
- J'étais surpris forcément, mais il faut dire que c'était amusant de savoir qu'il s'inquiétait de ma disparition ou encore qu'il s'imaginait tout un tas de trucs sur moi.
- Quelle opinion avez-vous de ce livre ?
- C'est magnifiquement bien écrit avec un style propre à l'auteur, répondit-il avec sérieux. Joël Egloff est à mon avis un homme débordant d'imagination et qui, de toute évidence, arrive à nous transporter dans son monde à lui. >>
Enfin, les dernières personnes interviewées étaient deux gros gaillards habillés d'un bleu de travail et dont la tête était couverte d'une casquette noire. L'un avait une moustache, l'autre avait dû oublié de se raser le matin. Je ne me souviens pas avoir parlé dans mon livre de quelconques personnages leur ressemblant... Puis le caméraman fit un zoom sur une horloge à l'arrière plan. C'est mon horloge ! Les voleurs, ce sont eux !
<< On ne savait pas qu'il existait des gens autant attachés à ce cadran, dit celui à la moustache avec une pointe de moquerie. La reporter leur posa quelques questions puis la question finale.
- Quel est votre avis à propos de Libellules de Joël Egloff ?
- Très beau travail, répondirent-ils en chœur. Celui à la barbe ajouta : c'est très intéressant car un fait bénin et sans intérêt auquel on ne fait jamais attention au quotidien peut avec lui soudainement devenir quelque chose de captivant, autour de quoi toute une histoire est créée. Je trouve ça fascinant. Je me demande comment il fait... >>.
<< C'était un reportage de Léa Rostamnejad sur Libellules de Joël Egloff, répéta la journaliste brune aux yeux verts, un recueil de nouvelles qui peut plaire aux jeunes comme aux grands. Dans le reste de l'actualité, ... >>. 
Joël Egloff éteignit la télévision. Il souriait de plaisir. Voilà une diffusion intéressante. Il avait l'avis de "ses personnages" sur son livre.

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