mardi 29 novembre 2016

L'interview : Florence de la Guérivière

Oscar Wilde, un artiste maudit


Romancière, conférencière et éditrice, Florence de La Guérivière s'intéresse aux « artistes maudits » comme Charles Baudelaire, Camille Claudel (à qui elle a consacré un ouvrage), Waslaw Nijinski et Oscar Wilde. Rencontre avec une passionnée du célèbre auteur irlandais.

Quelques mots sur vous ...
J'ai fait des études littéraires et linguistiques. J'ai travaillé pendant plusieurs années dans des entreprises de hautes technologies avant de créer, il y a un an, une maison d'édition, Inédits, spécialisée dans la publication de nouvelles et de textes courts et dans l'animation d'un site d'écriture collaborative. 

Vous êtes également écrivain.
Mon premier roman est sorti en 2000, Si loin soit L. et en 2009, un deuxième sur Camille Claudel, La main de Rodin*. J'ai également reédité deux nouvelles primées à l'occasion du Prix Albertine Sarrazin. En parallèle de l'écriture, j'anime un cycle de conférences sur les artistes maudits.

Comment avez-vous découvert Oscar Wilde ?

Je l'ai découvert dès le lycée à travers ses pièces de théâtre. Il y a quelques années, après avoir assisté à un spectacle très original sur sa vie au Festival d'Avignon, j'ai décidé de l'intégrer à mes artistes maudits !

Quelles œuvres conseillez-vous pour le découvrir ?

Je ne crois pas qu’on puisse découvrir Oscar Wilde à travers son œuvre, il se cache derrière ses textes (« Révéler l’art, et dissimuler l’artiste, tel est le but de l’art » ou encore « J’ai mis tout mon génie dans ma vie, je n’ai mis que mon talent dans mon œuvre ». Pour découvrir son talent de jongleur de mots, de paradoxes et d'aphorismes, allez voir ses comédies de mœurs. Pour connaître l'homme, lisez des témoignages de ses contemporains.

Quelques grands faits de sa vie ...

Oscar Wilde a eu une vie courte mais très riche ! Son enfance est marquée par le décès de sa sœur, les frasques de son père et l'exubérance de sa mère. Il réalise de brillantes études à l'université d'Oxford où il se fait déjà remarquer pour ses excentricités. Le jeune irlandais, proclamé critique d'art, donne aux Etats-Unis un cycle de conférences sur l'esthétisme. En 1884, il épouse Constance Lloyd qui lui donne deux enfants. Il va connaître dix années de gloire avec ses pièces de théâtre jouées à guichets fermés avant de vivre une passion orageuse avec Lord Alfred Douglas qui le mènera en prison !

Très tôt, il manifeste un goût pour l'esthétisme. C'est l'un des dandys les plus célèbres. Parlez-nous de son style vestimentaire ...

Il suffit de regarder les photos ! L’apparence et les vêtements sont très importants. Il a un look extravagant, vestes de velours, gilets moirés, chemises à plastron, lavallières, queues de pie, souliers vernis à pompons, hauts de chausse, bas de soie, capes, fleurs à la boutonnière, porte-cigarettes, cannes à pommeau... et une coiffure très étudiée de romantique du 19ème siècle. Il ne suivait pas la mode, il la créait. C'est un esthète qui n’a cessé de prôner une doctrine basée sur le refus du réel, grossier, au profit de l'art et de l’esthétique.

Dans quelles circonstances rencontre-t-il son jeune amant Lord Alfred Douglas ?

Alfred Douglas, fasciné par l'écrivain, le rencontre par l'intermédiaire d'un ami commun, après la sortie du Portrait de Dorian Gray. Ils affichèrent jusqu'au procès d'Oscar Wilde une relation passionnelle, dispendieuse de luxe et de débauche.

En 1895, après un procès riche en rebondissements, Oscar Wilde est condamné à deux ans de travaux forcés pour « actes obscènes ».

Le marquis de Queensberry, furieux de la liaison de son fils avec l'écrivain, tente de créer un esclandre lors de la première de L’importance d’être constant au théâtre, puis, faute d’y parvenir, dépose une carte de visite dans un club privé à l’attention d’Oscar Wilde, l’accusant de sodomie. Ce dernier, poussé par Alfred Douglas, qui déteste son père, et contre l’avis de ses amis, va riposter en portant plainte pour diffamation. Lord Queensberry est arrêté. Il réunit très facilement de nombreux témoignages (de prostitués notamment) pour prouver qu'il protège son fils de l’influence néfaste de ce débauché d’Oscar Wilde qui finalement retire sa plainte. Lord Queensberry, déclaré non coupable, ne veut pas en rester là ; il demande à ses avocats d’adresser toute la documentation rassemblée contre l'écrivain au ministère de l’Intérieur qui décide d'engager des poursuites contre lui. L'homosexualité masculine étant un délit à l'époque, le procès criminel de Wilde poursuivi pour outrage public à la pudeur  et sodomie  s'ouvre en avril. Le mois suivant, il est condamné à la peine maximale : deux ans de travaux forcés.

Pourquoi tant d'acharnement sur Oscar Wilde alors que Lord Alfred Douglas n’a pas été inquiété une seule fois pendant le procès ?

Je pense qu'il a été condamné pour l'exemple et pour des raisons plus subjectives, à cause de son attitude désinvolte, provocante et arrogante et de ses propos jugés « immoraux » dans son œuvre. Le jeune Lord, pour sa part,  n’a été ni cité ni mis en cause une seule fois, protégé par son rang et par le fait que son frère, retrouvé mort dans des circonstances mal élucidées, avait pour amant Lord Rosebery, alors premier ministre.  La condamnation très sévère de Wilde a donc été liée à des dessous politiques. Enfin, Oscar Wilde lui-même voulait éviter que son jeune amant ne soit inquiété.

Les deux amants se revoient-ils après le procès ?

Alfred Douglas lui a seulement rendu visite quotidiennement pendant sa première semaine de détention. Six mois après sa sortie de prison, ils passent ensemble quelques semaines à Naples puis se revoient en pointillé à Paris. Le jeune Lord, entretenu à grands frais par son amant du temps de sa splendeur,  n'a pas soutenu financièrement l'écrivain, privé de ses droits d'auteur, devenu alcoolique et miséreux.

Quelles sont ses relations avec sa famille ?
Malgré l’amour qu’il leur portait, Oscar Wilde n'a pas épargné ses proches en désertant le foyer familial et en s’affichant publiquement avec son amant. Sa famille a été contrainte de s'exiler en Suisse et de changer de nom. Après son procès, il n'a pas revu ses deux fils. Et sa femme meurt quelques mois avant sa libération.

A-t-il été soutenu par l'intelligentsia londonienne ?

Une pétition circula en Angleterre pour plaider l’indulgence auprès de la reine Victoria, mais face à un procès aussi problématique que celui de l’homosexualité, beaucoup refusèrent de s’engager par peur des représailles et la pétition resta lettre morte. Cependant de nombreux articles de soutien parurent dans la presse française.

Oscar Wilde, francophile, est venu plusieurs fois à Paris. A-t-il fréquenté le milieu artistique et littéraire parisien ?
 En 1883, il fait la connaissance de Victor Hugo, Edgar Degas, Camille Pissaro, Paul Verlaine et Edmond de Goncourt. En 1891, il revient pour écrire Salomé. Il rencontre Henri de Régnier, José-Maria de Hérédia, Pierre Louys, Stéphane Mallarmé et André Gide, alors âgé de 22 ans. Ils se reverront plusieurs fois en Algérie où ils font du tourisme sexuel. L'écrivain français, tombé secrètement amoureux, lui dédiera In memoriam.

Dans quelles conditions meurt-il ?
En pleine déchéance ! Il meurt le 30 novembre 1900 à Paris, trois ans et demi après sa sortie de prison. Une infection à l'oreille mal soignée dégénère en méningite cérébrale et en septicémie. Il est enterré au cimetière de Bagneux, par de rares fidèles.  Il faudra attendre 1909 pour que sa sépulture soit transférée, selon son souhait, au Père Lachaise, sous une sculpture de sphinx de Jacob Epstein.

Quel est votre texte préféré d'Oscar Wilde ?
 
De profundis, lettre écrite à Alfred Douglas depuis la prison de Reading. C'est un texte bouleversant, un « cinquième évangile » pour certains, un règlement de comptes vis-à-vis de Douglas pour d’autres. À mon sens, celui dans lequel l’homme se livre le plus…

* La main de Rodin, Séguier, 2009
Cote : R GUE (Pôle Littératures)

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