jeudi 6 avril 2017

L'interview : Nicolas Bondenet

Alexandre Dumas, un écrivain moderne

L'œuvre d'Alexandre Dumas est une source d'inspiration pour de nombreux artistes contemporains. Le Musée Alexandre Dumas de Villers-Cotterêts propose, jusqu'au 29 avril prochain, une exposition autour de la série animée japonaise Gankutsuou. Rencontre avec Nicolas Bondenet, responsable du musée.

Présentez-nous le Musée Alexandre Dumas.

Le Musée Alexandre Dumas a été créé par le Conseil Municipal de la Ville de Villers-Cotterêts en 1902 à la suite des commémorations du Centenaire de la naissance de l'écrivain dans sa Ville natale. D'une petite collection de manuscrits et d'iconographies, le musée s’est enrichi en peintures, dessins, sculptures, lettres et manuscrits au cours du XXème siècle grâce aux dons des collectionneurs passionnés de Dumas et de la Société Historique Régionale de Villers-Cotterêts, qui était chargée à l'époque de la gestion du musée. Les collections sont aujourd'hui présentées dans les salons d'un bel hôtel particulier du XIXème siècle. Elles éclairent l’histoire familiale des Davy de la Pailleterie (véritable patronyme de Dumas), de son père le général Dumas, premier général noir de la République Française, à son fils, académicien, célèbre auteur de La Dame aux camélias.
Le Musée Alexandre Dumas est labellisé Musée de France par le Ministère de la Culture qui reconnaît la valeur historique et patrimoniale des collections. Le Musée a en outre rejoint en 2010 le Réseau des Maisons d'écrivains et des patrimoines litté-raires en Picardie.


Quelles sont les pièces maîtresses que possède le musée ?
Le Musée est riche avant tout d’un fonds d'archives, lettres et manuscrits important qui représente environ 400 pièces dont le manuscrit des Mémoires, de la pièce de théâtre Caligula ou encore un chapitre de Monte-Cristo. Nous possédons une maquette en terre du monument à l'effigie d'Alexandre Dumas créé par Carrier-Belleuse en 1885, érigé à Villers-Cotterêts. Récem-ment, le musée a acquis plusieurs pièces de grande qualité comme la maquette en plâtre signée Gustave Doré du D’Artagnan qui orne le socle du monument dumasien parisien (17ème  arr.) ainsi que le portrait de Marie Duplessis, qui a appartenu à Dumas fils, célèbre courtisane qui lui inspira son chef-d’œuvre littéraire La Dame aux camélias

Quels sont vos projets au sein du musée ?
La conservation, le conditionnement et la restauration des collections sont une priorité absolue. Concernant la programmation culturelle, 2017 sera consacrée à Dumas fils et à son roman La Dame aux camélias pour valoriser l’acquisition du portrait de Marie Duplessis financée avec le soutien du Fonds Régional d’Acquisition des Musées (Etat / Région Hauts-de-France) et le mécénat du groupe Volkswagen France.
La Nuit des Musées, le 20 mai, inaugurera officiellement cette acquisition et présentera une création théâtrale autour de la vie de cette courtisane romantique par la comé-dienne Nathalie Newman. Deux expositions suivront : « Boîtes roman-tiques : les heures d’une parisienne » de mai à septembre et « Marie Duplessis, la véritable dame aux camélias » à partir de novembre. Le musée recevra pour l’occasion des univer-sitaires et des chercheurs pour une série de conférences.

Travaillez-vous en partenariat avec d'autres musées ?
Le Musée participe aux actions pédagogiques du Réseau des maisons d'écrivains des Hauts-de-France qui regroupe entre autres la maison de Jules Verne, le musée Jean de La Fontaine, le musée Racine ou encore la maison de Paul Claudel. Je travaille naturellement en collaboration avec la Société des Amis d'Alexandre Dumas basée au Château de Monte-Cristo qui prête régulièrement sa collection pour des expositions et dont je promeus les actualités, publications, conférences, lectures...

Combien de visiteurs accueillez-vous par an ? Quel est le profil-type du visiteur du musée ? 
Le musée accueille un peu moins de 2000 visiteurs par an. Ce sont des groupes scolaires, des étrangers et touristes originaires essentiellement de la Région parisienne.

Comment est née l'exposition Le Comte de Monte-Cristo, Gankutsuou ? 
L'idée est assez simple, le but de toute exposition au musée Dumas est de valoriser l’œuvre de l’auteur et de faire connaître l'homme. Dumas est un auteur universel, reconnu et traduit dans le monde entier et pourtant totalement méconnu, curieux para-doxe qu'il me faut résoudre. J'ai donc proposé dès mon arrivée de présenter deux expositions dans l'année. L'une plutôt patrimoniale qui se concentre sur l'époque de Dumas, les collections, son œuvre. Et l’autre qui s'intéresse à la réception actuelle de l'œuvre de Dumas et sa transposition dans les médias contemporains (cinéma, télé-vision, bandes  dessinées, numérique, Internet, jeux vidéos...) qui cible un public plus jeune. Dumas est encore aujourd'hui une source d'inspiration majeure pour une génération d'artistes, créateurs et écrivains. L’exposition Gankutsuou en est la preuve. 
Cette série animée de 24 épisodes créée en 2004 par les Studio Gonzo au Japon est une adaptation futuriste du Comte de Monte-Cristo. Elle a connu un grand succès en raison de la qualité de son scénario et surtout de son graphisme innovant mêlant effets 3D et jeux de motifs et de textures à la manière de Gustav Klimt. Visuel-lement c’est grandiose. J’ai donc profité de la sortie du coffret Blu-Ray en 2016 pour promouvoir cette œuvre fantastique. 
L'œuvre est récente et étrangère, la reproduction des visuels et la diffusion des épisodes étaient donc soumises aux droits d'auteurs ; il a fallu négocier longtemps. Heureusement, les ayant-droits en France ont servi de relais. C'est d'ailleurs cette même société qui a conçu l'exposition sous ma direction, ce qui en a facilité grandement la mise en place. Cette exposition a nécessité une année de travail.

Comment se présente l'exposition ?
L'exposition présente plusieurs panneaux illustrés qui expliquent la genèse de la série, du scénario à la création graphique. Vous pourrez admirer également plusieurs dessins de character-design ainsi qu’une vidéo qui diffuse le premier épisode, la visite des studios, une interview du créateur Mahiro Maeda, du staff technique et d’autres bonus.

Pourquoi avoir choisi de promouvoir un dessin animé ?
Le dessin animé est un média et une discipline artistique à part entière. Il est en outre un passeur de culture important auprès des enfants et des grands enfants. Il a toute sa place dans notre patrimoine culturel et au musée.


Avez-vous eu des remarques de la part de « puristes » réfractaires à l'adaptation de classiques littéraires sous des formes différentes ? 
Oui cela arrive, mais généralement les personnes n'ont ni lu l'œuvre ori-ginale ni pris le temps de découvrir l'adaptation. Il s'agit donc souvent de préjugés ineptes. Cela devient plus intéressant lorsque les arguments sont pertinents et que l'on peut discuter du fond et de la forme, mais la conclusion des débats s’impose assez rapi-dement à tous : l'œuvre de Dumas est passionnante.

Pensez-vous que l'adaptation du Comte de Monte-Cristo en manga est un bon moyen de faire découvrir aux plus jeunes cette œuvre, et éventuellement de leur donner envie de lire le livre ?
Oui je le crois, j'en suis convaincu puisque j'ai moi-même découvert Dumas et Les Trois Mousquetaires par le biais du dessin animé lorsque j'étais enfant dans les années 80. À cette période, on a vu déferler à la télé française tous ces dessins animés japonais tant décriés à l'époque et qui sont aujourd'hui reconnus comme des œuvres cultes qui s'inspiraient de l'histoire et de la littérature occidentale. Rémi sans famille, Princesse Sarah, Lady Oscar et jusqu'aux très controversés Chevaliers du zodiaque sont des œuvres dont Dumas n'aurait pas renié le souffle épique et les valeurs de camaraderie sur fond de mythologie. La culture populaire est toujours dénigrée, Dumas en savait quelque chose. Elle nourrit l'imaginaire des enfants tout en posant des balises culturelles qu’ils redécouvriront et dont ils se serviront à l'âge adulte. 
Il serait toutefois naïf de croire qu'ils liront l'œuvre originale. Nous avons adoré La Reine Margot de Patrice Chéreau, mais qui a vraiment lu le roman d'Alexandre Dumas ? La question, à mon avis, n’est pas essentielle. L'important est que l'œuvre continue d'exister dans notre imaginaire et notre patrimoine culturel commun même sous d'autres formes, d'autres médias, ou dans une autre langue. C'est une particularité de l’œuvre d’Alexandre Dumas, cette capacité à traverser le temps, à se réinventer, à se régénérer, en per-pétuelle mutation qui se transmet de génération en génération. C'est une œuvre bien vivante.

Que répondez-vous aux personnes qui pensent que le manga dénature les classiques et que c'est un « sacrilège » de les adapter ?
Je leur répondrais que le procès a été fait pour le cinéma et la bande dessinée et que le verdict a été rendu il y a plus d'un demi-siècle. N'ayez pas peur de vivre avec votre temps .

Conseillez-vous d'autres adaptations de classiques en manga ?
La chaîne de télévision France 5 a répondu à cette question en rediffusant les très belles séries Rémi sans famille adaptée du roman d'Hector Malot (1878), et Princesse Sarah d'après le roman de Frances H. Burnett (1888). Elles ont bercé mon enfance, quoique « bercé » ne soit pas le terme approprié car ces deux romans décrivent le parcours initiatique de deux enfants au cœur de la violence et de la cruauté de la société, ce sont de véritables leçons de vie.

Quel a été votre parcours avant de devenir conservateur du musée Alexandre Dumas ?
J'ai été nommé responsable du Musée Alexandre Dumas en septembre 2012. Diplômé d'un master en Histoire de l'art, spécialiste du XIXème siècle, j'ai commencé ma carrière comme étudiant vacataire au service des publics au Musée des Beaux-arts de Rennes. Mon diplôme en poche, j'ai travaillé comme assistant-expert à la galerie Frédéric Chanoit à Paris. J'ai rejoint ensuite le service du Récolement des collections de l'Etat au Fonds National d’Art Contemporain (FNAC) puis le musée Jean de La Fontaine à Château-Thierry en tant que chargé de mission à l'inventaire, au récolement et à la numérisation des collections. Ma formation me destinait naturellement vers la recherche documentaire, la gestion et la conser-vation des collections. Ma fonction actuelle ajoute à mon expérience la valorisation de ces missions auprès des publics via la création d'une program-mation culturelle (expositions, ateliers, visites guidées, spectacles...).

Mes mémoires, Alexandre Dumas
848.03 DUM (Pôle Littératures)
Avez-vous une passion particulière pour Alexandre Dumas ? Quelle est votre œuvre préférée ?
Pour être honnête, quand je suis arrivé à Villers-Cotterêts, je ne connaissais pas Alexandre Dumas. Je
connaissais bien évidemment son nom et quelques titres que j'avais lus enfant ou vus à la télé et au cinéma. Mais j'ignorais tout de l'homme, de la valeur historique et esthétique de son œuvre que l’on n’étudie pas ou peu à l'école. Je découvre donc chaque jour l’immensité de ses écrits, je ne suis en aucun cas un spécialiste de l’œuvre de Dumas qui est le domaine des universitaires et des chercheurs dont Claude Schopp, président de la Société des Amis d’Alexandre Dumas, est la référence. Je suis modestement le spécialiste des collections du musée, ce qui est tout à fait différent. Je conseillerais la lecture des Mémoires d’Alexandre Dumas qui donne la « démesure » du personnage.


Si vous deviez donner envie à nos lecteurs de venir,  que leur diriez-vous ?
Laissez parler votre cœur d'enfant et rejoignez-nous pour vivre les aventures d'Albert de Morcerf sur la planète Luna à la découverte des terribles secrets de sa famille et du mystérieux comte de Monte-Cristo. Attention les yeux ! (rire)


Infos pratiques :

Musée Alexandre Dumas
24, rue Demoustier
02600 Villers-Cotterêts
03 23 96 23 30
Horaires d'ouverture :
tous les jours de 14h à 17h, le dimanche de 14h à 18h. Le musée est fermé le mardi, le dernier dimanche du mois et les jours fériés.

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